Lignes de Crêtes


Lignes de Crêtes, roman (304 pages), est paru le 3 août 2020.

Le livre

Le point de vue de l'éditeur :

Fuir la guerre, chercher la liberté de l’autre coté de la frontière, c’est ce que décident des Catalans du sud, Andreu, sa femme Núria et leur jeune fils Jordi.
Quand ils quittent Llanars en direction de la France, commence pour eux un périlleux voyage. Ils doivent clandestinement franchir la redoutée « frontière sauvage » pour atteindre le Haut-Conflent.
Entre situations dramatiques et choix impossibles, Andreu, Núria et Jordi vont poursuivre leur vie, comme leur exil, sur une difficile ligne de crête. Le parcours de ces personnages attachants, touchants, dans une époque malmenée par l’histoire, les confronte à la guerre, à l’hostilité des hommes, aux tumultes de la nature : l’« aiguat del 40 » ravagera le département des Pyrénées-Orientales.
Mais leur route croise aussi celle d’êtres généreux et bienveillants.
Leur vie toute entière sera une longue et sinueuse ligne de crêtes.
Une aventure humaine passionnante portée par la plume précise et vivante de Nicole Yrle.

Extraits



Extrait 1e partie, chapitre 2

Andreu avait au fond de lui l’obscure impression de se lancer dans l’inconnu et d’abandonner son frère. Si, comme c’était probable, Barcelone et toute la Catalogne tombaient aux mains des Franquistes, que deviendrait Jaume, ancien combattant républicain ? Aurait-il le temps de fuir à son tour ? Intimement attaché à sa terre catalane, le voudrait-il ?
Que leur réservait l’avenir ? Qui aurait pu le dire ? Confusément, Andreu se disait que, s’il partait, ce serait pour toujours. Il ne reverrait plus ni sa maison, ni son atelier, ni son frère, ni son village. L’idée en était si insupportable qu’il fit tout pour la chasser de son esprit. Il devait ne penser qu’à mettre en sécurité sa femme et ses enfants.

L’immense soulagement qu’il lut dans les yeux de sa femme quand, le soir venu, il lui annonça l’imminence de leur départ, fit naître en lui des sentiments contradictoires : la joie de la voir sourire, une détermination nouvelle, la conscience d’une écrasante responsabilité, la sourde crainte de faire un mauvais choix.



Extrait 1e partie, chapitre 5

[…] déjà la file s’étirait sur la crête enfin atteinte. On ne voyait rien alentour. Les rafales glacées obligeaient à baisser la tête et on avait l’impression qu’à chaque instant, elles allaient emporter les plus fragiles. Comme chaque fois qu’il neigeait, Joan protégeait sa nuque et son cou en rabattant sa capuche sous son chapeau, retenu par un lacet de cuir, et remontait son mouchoir de cou devant sa bouche et son nez. Les mouvements de sa cape dans le vent lui donnaient une étrange silhouette de rapace aux larges ailes.
Tenant son fils devant lui, par les épaules, Andreu sentait ses pieds tantôt s’enfoncer dans la neige molle, tantôt glisser sur de la glace, et il n’avançait qu’avec une extrême prudence. Il avait balancé sur l’épaule son précieux chargement. Derrière lui, Núria s’y accrochait de toutes ses forces pour ne pas perdre l’équilibre et elle marchait dans ses pas.
Les heures passaient. On progressait toujours vers l’ouest, sans un mot, sans une plainte. Apparaissaient parfois des formes insolites, grosses ou petites, rondes ou carrées. C’était les bagages que d’autres avant eux avaient abandonnés sur place, trop épuisés pour continuer à les porter, seulement soucieux de se maintenir en vie. Sacs, paquets et valises restaient là, coincés, ou se mettaient à rouler dans la pente, vite perdus de vue. Jordi crut s’être trompé en voyant devant lui dépasser le petit bras dodu d’une poupée invisible, pour longtemps recouverte de son blanc linceul. Au fond de sa poche, il tâta son petit joueur de foot : une figurine en résine peinte à laquelle il tenait beaucoup.



Extrait 1e partie, chapitre 7

Soudain, un cri de terreur figea sur place les marcheurs. Consuelo avait trébuché et elle chutait sur la pente vertigineuse. La valise qu’elle portait sur le dos se détacha, rebondit de place en place avec un bruit sourd et finit par s’ouvrir, libérant des taches de couleur qui s’envolèrent au gré du vent et divers objets qui dévalèrent en tous sens.
Le corps de la malheureuse roulait de plus en plus vite, comme désarticulé, accompagné du hurlement de son mari qui se prolongeait, tel un écho :
— Consuelo !...
Il voulut s’élancer, Rafael tenta de le retenir :
— Non, n’y allez pas ! Vous allez vous tuer !
Jesus se dégagea d’une secousse :
— Vous voulez que je l’abandonne ? C’est ma femme !
Tous les yeux, braqués sur Consuelo, remontèrent jusqu’à lui. Il avait jeté son sac, et descendait à toute vitesse, droit devant, bras levés. Il tomba dix fois, se releva, sauta, glissa sur le dos jusqu’à la forme immobile qui gisait sur la glace de l’étang. À mi-pente du mont d’en face, quatre ou cinq isards paisibles se mirent en mouvement, sans doute effrayés par le bruit. Ce double déplacement de l’homme et du chamois des Pyrénées animait la montagne d’une étrange façon, à la fois belle et pathétique.



Extrait 1e partie, chapitre 15

Il fallut parlementer longtemps encore avant que Jordi, en proie au plus grand déchirement qui pût s’imaginer, ne retrouvât un semblant de paix intérieure. Il se sentait épuisé, incapable de distinguer le vrai du faux, le raisonnable de l’insensé. On lui avait toujours répété qu’il ne devait jamais mentir et ses parents n’étaient plus là pour lui dire ce qui était bien ou mal. Il ne doutait pas de l’affection sincère des Rubira et lui aussi, en peu de temps, s’était mis à les aimer.
Cédant à un mouvement impulsif, il se précipita vers Rosa et lui prit Mireia qu’elle tenait dans ses bras. Il la serra contre sa poitrine, posa un baiser sur son front, là où le duvet de ses cheveux était le plus doux, et murmura :
— Je ne te quitterai pas, je te protègerai...
La nuit qui suivit, le malheureux enfant se tourna et se retourna dans son lit, sans réussir à trouver le sommeil. Tout près de lui, le cœur lourd, Lluís ne dormait pas non plus, il tendit une main timide vers son copain qui le laissa faire. Dans l’obscurité de la chambre, ils ne se voyaient pas mais chacun percevait le souffle de l’autre. Par extraordinaire, l’àvia dormait profondément, et en silence !
— Tu es mon frère maitenant, chuchota Lluís : Mireia est ta sœur et aussi la mienne, donc tu es mon frère !
Que répondre à cela ? Jordi saisit la main tendue et la serra avec force, au comble de l'émotion.



Extrait 1e partie, chapitre 17

Levé tôt le matin, couché tard le soir, Josep adoptait le même rythme que ses brebis qui dormaient la nuit et pendant les heures les plus chaudes de la journée.
Avant de s’abandonner au sommeil, quand les soirées étaient belles, il passait un moment plus ou moins long, étendu dehors, les bras croisés sous la tête, et là, il « montait au ciel », contemplant la voûte céleste. Il préférait la lune en croissant plutôt que pleine, et suivait d’abord des yeux le chemin de Saint Jacques. Puis il laissait son regard errer dans le ciel tout entier : des milliers d’étoiles frémissaient de scintillements dorés qui les rendaient vivantes, il fixait la plus lumineuse, celle qu’il appelait l’étoile « des » bergers, il cherchait les astres rouges, orangés ou bleutés, guettait les étoiles filantes ou celles qui semblaient tomber en pluie.
Il avait le cœur empli d’allégresse comme si cette fête nocturne lui était spécialement destinée. Lorsque ses paupières s’alourdissaient, il rentrait retrouver sa couchette et s’endormait aussitôt, l’esprit serein.
Dès qu’il fut dans « sa » montagne, il oublia tout. Il ne pensait plus à la menace de guerre, les mesquineries villageoises devenaient dérisoires. Tout s’éloignait dans l’espace et dans le temps.



Extrait 2e partie, chapitre 1

À Fontpédrouse, alignés au bord du quai de la petite gare, ils guettaient l’arrivée du train. Ils l’entendirent avant de le voir. Josep fit signe au conducteur qui s’arrêta dans un bruit de ferraille, et chacun reprit son bagage, posé à terre, avant de monter.
— Tu te souviens, Jordi, comme tu le trouvais petit depuis le chemin ? rappela Lluís.
Jordi s’en souvenait parfaitement. Tous deux revenaient de l’école et, à l’approche de Prats-Balaguer, ils avaient pris à gauche en direction de l’église [...] Un sifflement aigu lui avait fait tourner la tête et il avait découvert, sortant d’un tunnel et serpentant à flanc de la montagne, un minuscule train jaune vif, qu’il avait suivi des yeux : il apparaissait et disparaissait tour à tour, on aurait dit un jouet qui lui rappelait tristement celui dont il avait longtemps rêvé : rouge vif, il trônait dans la vitrine de la droguerie-bazar de la Carrer Major à Llanars...
Ce n’était pas un jouet, celui-là, et il allait l’emporter, lui et les Rubira, dans un ailleurs qui lui faisait peur.



Extrait 2e partie, chapitre 4

D’un tempérament réservé, presque timide, l’épouse de Bernat frappa à la porte et commença par s’excuser, comme si elle n’était qu’une simple visiteuse :
— J’espère que je ne vous dérange pas. J’aurais voulu vous accueillir hier et vous apporter le souper, mais le mauvais temps m’a empêchée de monter, je suis désolée.
Josep et Rosa manifestèrent leur joie de la voir, la remercièrent d’avoir mis à leur disposition la belle maison de ses parents et racontèrent comment la voisine s’était montrée chaleureuse et généreuse à leur égard. Teresa s’inquiéta de Lluís, et il fut le premier à la rassurer en précisant que ses parents l’avaient soigné et que maintenant, il allait beaucoup mieux. Josep demanda des nouvelles de son frère.
— Je n’en ai eu qu’une fois depuis qu’il est parti, répondit tristement Teresa. Je ne sais même pas où il est en ce moment. J’ai entendu parler de la ligne Maginot qui, paraît-il, nous protège de l’invasion, mais j’ai quand même peur.
— Bernat est un réserviste, rappela Josep, qui voulait surtout tranquilliser sa belle-sœur ; il n’est donc pas sur le front et, si ça se trouve, il n’y sera jamais. En tout cas, il n’est certainement pas dans la Sarre.
— C’est dur pour toi, chère Teresa, ajouta Rosa, je me mets à ta place, tu es seule et tu attends des lettres...
— Tu n’es plus seule, maintenant, reprit Josep, nous sommes là et nous ferons tout ce que nous pourrons pour te soutenir.
— Je me sens soulagée, c’est vrai, de vous savoir ici. Je l’avoue, je me sens un peu désemparée, Bernat s’occupait de tout. Avant de partir, il m’a donné des conseils, il m’a dit...
— ... que tu pourrais compter sur moi, acheva Josep. Il avait raison. Je me mettrai au travail rapidement. Nous en parlerons en détail quand tu voudras.



Extrait 2e partie, chapitre 6

Un aiguat se préparait-il ? Personne ne prononçait le mot mais tous y pensaient. Resurgissaient dans les esprits les terreurs ancestrales, transmises de génération en génération par des anciens qui racontaient comment dans des temps reculés, à la Sant-Galdric puis, quelque cent ans plus tôt, à la Sant-Bartomeu, une colossale montagne d’eau, d’arbres déracinés et de rochers avait dévalé les pentes, engloutissant les hommes, leurs maisons et leurs bêtes, détruisant tout sur son passage. On disait même que le fameux pont du Diable de Céret avait été construit il y avait très très longtemps pour remplacer le pont romain, emporté par une terrible crue du fleuve.
Tout au long de la journée du 17 et de la nuit qui suivit, les habitants de La Llau crurent leur dernière heure arrivée, tant la pluie battante tambourinait sur les toits et contre les fenêtres ou les volets, noyait les rues et les chemins, s’infiltrait entre les tuiles, ruisselait par les cheminées. Bien que cela parût impossible, elle redoubla d’intensité à cinq heures de l’après-midi. Le fracas du torrent et celui de l’averse se confondaient en un vacarme assourdissant. Plus d’électricité, on ressortit lanternes et bougies. La ligne téléphonique arrachée se balançait dans le vide.
Le hameau était coupé du monde.



Extrait 2e partie, chapitre 10

La solidarité avait beau jouer à plein, sous peu, plus personne n’aurait seulement de quoi manger, même sur la rive gauche de la Comalada, relativement épargnée.
On resta longtemps sans électricité, obligé de ressortir des greniers les lampes des grands-parents, à acétylène ou à huile – quand on en avait encore. Derrière les vitres, on voyait aussi trembler la flamme des dernières bougies, sorties des placards. Si on devait se déplacer dans les rues, le soir ou de nuit, on éclairait ses pas en levant devant soi une lanterne du temps jadis, qui faisait bouger des ombres plus ou moins inquiétantes sur les murs ou les ruines.
Heureusement, le téléphone fut rétabli au bout de quelques jours. On promit enfin au maire, qui avait multiplié les appels, de mettre en place rapidement une solution afin d’apporter des produits de première nécessité aux habitants, surtout à ceux qui avaient tout perdu, maison, meubles, vêtements, tout...
De solution, il n’y en avait qu’une : les traginers reprirent du service. Depuis des siècles, ils n’avaient pas leur pareil pour parcourir les sentiers de la montagne, par tous les temps ou presque, tirant, traînant leurs vaillantes mules, chargées de marchandises des plus diverses. Les premiers qui arrivèrent, depuis Arles-sur-Tech, furent accueillis comme des sauveurs.



Extrait Epilogue, chapitre 2

[Bernat] trouva Andreu seul, un matin, assis sur un muret, le dos courbé, les mains sur ses cuisses, contemplant les flots de la Comalada qui coulait en-dessous. Il prit place à côté de lui :
— Qui pourrait croire, à la voir si tranquille, qu’elle peut se transformer en torrent furieux ?
— Elle ressemble à certains hommes, répondit Andreu, qu’on pourrait croire la bonté incarnée et qui, brusquement, deviennent plus féroces que des bêtes.
— J’aurai connu deux guerres et vous aussi, même si seule la seconde nous est commune. Il faut croire que la violence, l’acharnement à détruire font partie intégrante de la nature humaine. Nous sommes revenus de l’enfer : est-ce une chance ? Nos années volées ne nous seront jamais rendues... Dites-moi, Andreu, où étiez-vous quand les Allemands vous ont capturé ?
— C’est une longue histoire...

L'éditeur

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